Dominique Massaut

Bartelt, Les bottes rouges (1)

Comme les bistrots sont en voie de disparition, y compris le café du commerce, et qu’on n’a donc plus que rarement l’occasion de déverser, dans un orgasme très mâle, le plaisir de ses lectures autour de boissons alcoolisées et de compagnons indulgents, indifférents ou interdits, j’ai décidé de déposer sur ce site quelques extraits de livres que j’ai aimés. L’avantage, pour le coup, c’est que, si vous vous en faites le réceptacle (ou l’écho distrait), ce sera cette fois le résultat d’une démarche volontaire.
Le commencement avec Franz Bartelt, dont je me suis mis dans la tête, en boulimique total que je suis, de dévorer l’ensemble de l’œuvre.

Franz Bartelt, Les Bottes rouges (Gallimard, 2000, p. 70) :

J’ai pratiqué la douleur amoureuse, au fond des bistrots, tard dans la nuit, avec le sentiment d’être important, d’être l’homme le plus important du monde, puisque j’étais celui qui, par décret intime, souffrait le plus.
On croit toujours qu’on ne se remettra jamais d’une histoire d’amour qui tourne en eau de boudin. On peut hésiter sur les moyens de venir à bout de cette tragédie : la noyade, la pendaison, la défenestration, le choix est vaste des armes qu’on peut tourner contre soi. Mais la plupart du temps, la détermination n’est pas à la hauteur du noir dessein et, bien souvent, les tentations romantiques finissent au point du jour dans un dégueulando amer où les belles idées filent dans l’eau bleue des W.-C., avec les acidités des vins coupés de bière et réchauffés au cognac. Les bruits de chasse ponctuent, symphoniquement si on veut, l’agonie des grands amours. Ce sont des réalités que les poètes s’obstinent à refuser et auxquelles les puristes préféreront toujours la balle dans la tête ou le kilo de gélules dans le gosier.
Mourir d’amour est une chose magnifique, grandiose, cinématographique, quoique nuisible à la santé. La littérature, le théâtre, ces arts qui se nourrissent de singularités, ne se privent pas de donner un avenir à ces fins superbes dont la raison montrerait pourtant facilement l’obscénité. L’homme du commun parle, pleure, vomit et survit. C’est une victoire éclatante de la lâcheté sur l’esthétisme. Il faut avoir le courage d’être modeste, d’être une personne plutôt qu’un personnage, et se conforter dans la sagesse de préférer les W.-C. au revolver. C’est moins chic, peut-être. Mais une cervelle éparpillée sur les murs d’une chambre, ce n’est guère plus raffiné.


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